On considère l'écoulement incompressible à potentiel dans un canal bidimensionnel obturé partiellement par un obstacle carré. Les dimensions du problème sont indiquées sur la figure (6.1).
L'équation d'équilibre régissant la fonction de courant n'est autre que l'équation de Laplace
où est la fonction de courant telle que:
et étant les composantes de la vitesse. Les conditions aux limites en vitesse pour ce problème sont:
La formulation faible du problème s'obtiens en multipliant l'équation par une fonction test , et en intégrant sur le domaine . En utilisant la formule de Green, on intègre par partie le terme en Laplacien pour tenir compte des conditions aux limites et symétriser le problème. En utilisant les conditions aux limites, et en interprétant la fonction test comme une variation de la solution , la formulation faible s'écrit:
Dans la suite, pour effectuer les calculs, nous choisirons comme valeurs numériques et , ce qui impose un débit unité en entrée.
La formulation faible (6.1) est équivalente à la formulation variationnelle suivante:
L'équation de continuité impose à ce potentiel de vérifier l'équation de Laplace:
Le potentiel et la fonction de courant vérifient donc la même équation, mais avec des conditions aux limites différentes.
Exercice: montrez que ce sont deux familles de fonctions orthogonales, i.e. les courbes potentiel sont perpendiculaires aux lignes de courant.
Les conditions aux limites sur le potentiel sont:
La fonctionnelle a une interprétation physique: c'est l'énergie cinétique totale:
La solution à potentiel du problème (6.3) et donc (6.1) correspond donc au champ de vitesse qui minimise l'énergie cinétique globale parmi tous les champs de vitesse à potentiel vérifiant les conditions aux limites. Cette propriété, caractéristique des écoulements incompressibles à potentiel (ou irrotationnels), a été découverte par Lord Kelvin en 1849 5.1.
Exercice: démontrer cette propriété.
Pour résoudre numériquement le problème (6.1), on cherche une solution approchée . En éléments finis cette solution est définie par la donnée:
La description d'un maillage comprend deux informations principales:
|
Sur chaque élément du maillage, l'approximation par élément finis d'une fonction est un polynôme de degré 1 en et , qui s'écrit:
Pour déterminer ce polynôme, il faut 3 points d'interpolation et la valeur de la fonction en ces 3 points. Les 3 équations permettent alors de déterminer les 3 coefficients de . Pour assurer la condition de continuité globale de la solution, on choisit comme points d'interpolation les 3 sommets du triangle . L'approximation est donc définie par ses valeurs aux noeuds du maillage.
Considérons par exemple la fonction sur le maillage (6.2). Elle est définie par le tableau de valeurs nodales suivants:
Sur l'élément 5 qui a pour sommets les noeuds , cette fonction est le polynôme de degré 1 qui prend les valeurs sur ces 3 sommets. Dans l'espace c'est un plan qui est représenté en perspective sur la figure (6.4). Son expression analytique est obtenue en résolvant le système de 3 équations à 3 inconnues :
La résolution du système (6.4) permet d'obtenir les expressions suivantes pour
Les relations (6.5) montrent que l'interpolation de sur l'élément ( ) est une combinaison linéaire des valeurs nodales , qui s'écrit:
Les fonctions sont les 3 polynômes de degré 1, associés aux 3 sommets de l'élément, suivants:
Ces polynômes de degré 1 (dont on vérifie les symétries par permutation d'indices) vérifient :
Ainsi le polynôme vaut 1 sur le sommet et 0 sur les 2 autres sommets et ; de même pour et avec une permutation des indices. La représentation en perspective de ces 3 fonctions est donnée sur la figure (6.4) (pour le tracé on a remplacer les coordonnées des sommets par leurs valeurs obtenues dans le tableau 6.1: i.e.
Ces polynômes vérifient en outre la relation:
Dans le cas d'une interpolation , ces polynômes ont une interprétation géométrique. Ce sont les coordonnées barycentriques. Ces coordonnées sont définies de la façon suivante: pour chaque point de coordonnées , le vecteur s'écrit en fonction des sommets du triangle, comme combinaison des vecteurs , , . Les coefficients sont les coordonnées barycentriques par rapport au triangle considéré, i.e.
Les valeurs de vérifient les relations (voir la figure 6.5 pour les notations):
qui sont justement les expressions (6.7) des polynômes .
Exercice: démontrer ces relations
On a aussi une propriété remarquable des coordonnées barycentriques: un point est à l'intérieur du triangle si et seulement si ses 3 coordonnées barycentriques sont positives, il est sur un des cotés du triangle si la coordonnée barycentrique par rapport au coté opposé est nulle, et il est à l'extérieur du triangle si une au moins des coordonnées barycentriques est négative.
L'approximation par éléments finis est donc définie de façon locale sur chaque élément, en calculant des formules d'interpolation du type (6.6) et (6.7). De façon a obtenir une expression générique pour l'interpolation, on va, comme dans le chapitre précédent introduire une transformation d'un élément vers un élément de référence. Cet élément de référence est le triangle rectangle unité dans le plan de référence (figure 6.6).
Cette transformation est une transformation affine:
dont l'expression de en fonction de s'écrit :
Les 6 coefficients de la transformation sont déterminés par les conditions
de transformation des 3 sommets
de
vers les 3 sommets
de l'élément de référence
:
On remarque que est un polynôme de degré 1 en , qui vaut 0 en (car ) , 1 en (car ), et 0 en (car ). C'est donc le polynôme d'interpolation (ou la coordonnée barycentrique ) associé au sommet , dont l'expression est donnée en (6.7). De même est un polynôme de degré 1 en , qui vaut 0 en (car ), 0 en (car ), et 1 en (car ). C'est donc le polynôme d'interpolation de Lagrange (ou la coordonnée barycentrique ) associé au sommet . On a donc:
et
En notant les coordonnées du sommet de l'élément , on obtiens l'expression générique de la transformation de vers l'élément de référence :
Sur cet élément de référence, les 3 polynômes d'interpolation ont une expression très simple: ce sont les fonctions forme de l'approximation sur l'élément de référence associées aux 3 sommets :
Exercice: montrer qu'en écrivant ces relations (6.13) en variable (x,y) on retrouve la relation (6.8) sur les coordonnées barycentriques.
La matrice jacobienne = de cette transformation se calcule simplement:
De même la matrice jacobienne de la transformation inverse est égale à l'inverse de :
en notant l'aire du triangle
En notant les numéros des 3 sommets de l'élément qui sont donnés par la table de connection ( , , ), l'approximation s'écrit sur l'élément :
Cette expression a la même forme que la relation (6.6), mais l'expression (6.12) des fonctions de forme est beaucoup plus simple que l'expression (6.7) des polynômes d'interpolation, ce qui va nous permettre en particulier un calcul plus simple des intégrales dans la formulation faible.
Attention: la dérivée d'une fonction dans l'élément de référence n'est évidemment pas égale à la dérivée dans le plan physique . Il faut tenir compte du changement de variable:
qui s'écrit en fonction de la transposée de l'inverse de la matrice jacobienne . Le vecteur gradient s'écrit:
Nous avons montré que l'approximation par éléments finis d'une fonction sur le maillage (6.2) était déterminée par les valeurs nodales de aux noeuds du maillage. Sur chaque élément, est un polynôme de degré 1 donnée par l'expression (6.16), qui est une fonction linéaire des 3 valeurs aux sommets de l'élément.
On peut donc écrire l'approximation comme une combinaison linéaire des valeurs nodales :
Les fonctions sont les fonctions de base de l'approximation. Elles sont telles que sur chaque élément on retrouve l'approximation (6.16), ce sont donc des polynômes de degré 1 en . De plus elles vérifient la propriété suivante pour chaque noeud du maillage de coordonnées :
Autrement dit la fonction de base est une fonction continue qui vaut 1 au noeud du maillage, 0 sur tout les autres noeuds, et qui sur chaque élément est un polynôme de degré 1. On en déduit que sur un élément dont le noeud n'est pas un sommet, la fonction est identiquement nulle (car elle est nulle sur les trois sommets). Le support de la fonction (i.e. le lieu des points où la fonction est non nulle) se limite donc aux éléments du maillage ayant le noeud pour sommet:
Ainsi la fonction de base est non nulle uniquement sur les éléments et vaut
En effet le sommet 2 est le premier sommet sur l'élément dans la table de connection (6.1), (i.e. Tbc(5,1)=2); le troisième sur l'élément (i.e. Tbc(6,3)=2), le second sur l'élément (i.e. Tbc(7,2)=1), et enfin le premier sur l'élément (i.e. Tbc(8,1)=2). Cette fonction de base est tracée en perspective sur la figure (6.7), et sa forme est une forme pyramidale.
La solution approchée du problème (6.1) est donc définie à partir de ces valeurs nodales aux sommets du maillage de la figure (6.2).
La solution du problème (6.1) doit de plus vérifiée les conditions aux limites fortes, i.e.:
donc la valeur de est fixé sur les noeuds du maillage se trouvant sur ces frontières:
Grâce à un choix judicieux de la numérotation des noeuds du maillage, la solution approchée s'écrit:
Après application des conditions aux limites de Dirichlet, le problème discrétisé possède 4 degrés de liberté. En remplaçant la solution exacte par la solution approchée (6.19) dans (6.1) , il vient la formulation faible discrète:
Les fonctions tests sont déduites de la forme de la solution approchée (6.19), puisque ce sont des variations de :
On vérifie que ces fonctions s'annulent sur les frontières de Dirichlet. Ce sont des combinaisons linéaires des 4 fonctions de base associées aux 4 degrés de liberté .
En choisissant comme fonctions tests dans (6.20), respectivement ces 4 fonctions de base , on obtiens les 4 équations qui vont permettre de calculer les 4 inconnues :
Après regroupement des termes, en permutant l'intégration et la sommation, les équations s'écrivent:
C'est un système linéaire de 4 équations à 4 inconnues, qui s'écrit sous la forme matricielle: , où la matrice , le second membre et le vecteur inconnu sont donnés par:
soit sous forme générique:
On remarque que la matrice est symétrique due à la symétrie de la formulation faible.
La recherche d'une solution approchée par éléments finis dans la formulation faible se ramène donc à la résolution du système linéaire (6.21). Il nous reste donc à calculer la matrice et le second membre . A nouveau, comme dans le chapitre précédent, nous n'allons pas calculer directement les intégrales dans les relations (6.22), mais suivre une approche systématique pour le calcul de et
Le calcul des coefficients de se fait élément par élément, en notant que l'intégrale sur le domaine est la somme d'intégrales élémentaires sur chacun des triangles du maillage:
En utilisant la propriété des fonctions de base qui sont non nulles uniquement sur le support du noeud i, on constate que les intégrales élémentaires sont presque toujours nulles sauf si l'élément est dans le support du noeud i et du noeud j, c'est à dire si i et j sont des sommets de l'élément .
On a donc en réalité intégrales élémentaires à calculer par élément , ce sont, en notant les numéros des 3 sommets de l'élément k:
Avec ces notations, le premier coefficient de la matrice s'écrit
puisque le noeud 1 a pour support les éléments et correspond au premier sommet sur l'élément , au troisième sur , .... De même le second coefficient de s'écrit:
puisque les seuls éléments ayant comme sommet les noeuds 1 et 2 sont les éléments . Sur l'élément le noeud 1 correspond au troisième sommet et le noeud 2 au premier, alors que sur l'élément le noeud 1 correspond au premier sommet et le noeud 2 au troisième.
L'assemblage complet de la matrice donne donc:
Pour calculer les intégrales élémentaires (6.23), on effectue la transformation vers l'élément de référence.
Pour calculer l'intégrale d'une fonction sur un élément , on effectue le changement de variable et pour se ramener à un calcul d'intégrale sur l'élément de référence. Le calcul de cette intégrale sur l'élément de référence s'effectue par partie, en intégrant d'abord en puis en (figure 6.8). On a donc:
puisque l'on a la relation suivante entre les éléments de surface:
où est le jacobien (6.14) de la transformation de l'élément de référence vers l'élément vers . En utilisant la relation (6.17) pour le calcul des dérivées, la matrice élémentaire s'écrit après ce changement de variable:
En notant que la matrice jacobienne est constante ainsi que les gradients des fonctions de forme, et que la surface de l'élément de référence vaut:
l'intégrale se simplifie:
Un calcul directe du déterminant du Jacobien fournit la valeur:
que l'on peut vérifier en notant que ce déterminant est le rapport entre l'aire du triangle : , et l'aire du triangle de référence : et. De même par un calcul directe le produit matriciel s'écrit:
(
Compte tenu de l'expression (6.12) des fonctions de forme, le calcul de leur gradient est trivial:
Pour calculer la matrice élémentaire, on peut effectuer le calcul directe des 9 coefficients à partir de la relation (6.26), mais on peut aussi remarquer que la matrice élémentaire est symétrique, et que la somme des lignes (et des colonnes) est nulle (car la somme des gradients des fonctions de forme est nulle). Il suffit donc de calculer 3 coefficients: , les autres étant déduits comme indiqué ci dessous:
Le calcul de ces 3 coefficients donne
d'où l'expression de la matrice élémentaire :
Exercice: retrouver ce résultat en utilisant l'expression des fonctions d'interpolation dans le plan physique (x,y).
Pour calculer la matrice de notre système, il suffit donc de calculer les 11 matrices élémentaires correspondants aux éléments du maillage en utilisant les relations (6.27) et (6.28), et de reporter les coefficients dans la matrice globale (6.24).
On obtiens ainsi les valeurs des coefficients de la matrice du système:
qui est bien entendu symétrique.
Le calcul du second membre (6.22) procède de la même démarche. On remarque aussi que, dans notre cas, le second membre ne contient que des termes provenant des conditions aux limites. L'intégrale à calculer est exactement la même que pour la matrice , et on écrit donc le second membre sous la forme:
C'est la somme de coefficients de matrices élémentaires (6.23): pour calculer le second membre , on doit prendre en compte les matrices élémentaires des éléments du maillage ayant le noeud comme sommet et un des noeuds sur le bord (i.e. ). Ainsi pour le second membre on a:
puisque que l'élément a pour premier sommet le noeud 1 et pour troisième sommet le noeud 7 (qui sur mais aussi pour second sommet le noeud 6 (qui sur et que l'élément a pour troisième sommet le noeud 1 et pour second sommet le noeud 6.
Le second membre complet s'écrit donc:
Le calcul précédent nous a fournit les matrices élémentaires, et on obtiens comme valeurs de :
compte tenue de la valeur de
La résolution du système linéaire avec la matrice (6.30) et le second membre (6.31), nous fournit la valeur de la solution approchée pour les 4 degrés de liberté du système:
Compte tenu des conditions aux limites, on obtiens la solution approchée sur tous les noeuds du maillage:
Cette solution est représentée sur la figure (6.9) sous la forme d'iso-valeurs en couleur. Une ligne corresponds à une couleur fixe, dont la valeur est fournit par la palette de couleurs à droite de la figure. Ces lignes iso-valeurs sont justement les lignes de courant de l'écoulement . Compte tenu de la petitesse du maillage, ces lignes de courant approchées ne sont pas très régulières, mais on retrouve le comportement global de l'écoulement qui est défléchi par l'obstacle.
On peut comparer cette solution à la solution calculée sur un maillage beaucoup plus fin de éléments et noeuds. Les iso-valeurs de cette solution, qui est très proche de la solution exacte sont tracées sur la figure (6.10).
En comparant les deux figures, on constate que l'allure de l'écoulement est bien la même, par contre la déviation des lignes de courants sur le maillage grossier (6.9) est beaucoup trop important en amont de l'obstacle, comparé à la solution de référence (6.10). Par contre sur l'obstacle, la solution est quasiment identique et correspond à une répartition linéaire. Cela est confirmé par la figure suivante (6.11), où on a tracé les profils de la solution approchée (en traits pointillés) pour deux abscisses (droit de l'obstacle) et (amont de l'obstacle), comparés à la solution de référence (en traits pleins).