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5.1 Propriétés mathématiques des équations de bilan

Nous avons vu que les équations d'Euler régissant l'écoulement adiabatique non visqueux d'un fluide parfait s'écrivent sous la forme


\begin{displaymath}
\frac{\partial W_{i}}{\partial t}+div(\overrightarrow{F_{i}}(\overrightarrow{W}))=0\end{displaymath}

$\overrightarrow{W}=\left[\begin{array}{ccccc}
\rho & \rho u & \rho v & \rho w & \rho(e+\frac{1}{2}U^{2})\end{array}\right]$ est le vecteur d'état, et $F_{i}(\overrightarrow{W})$ le vecteur flux associé:


\begin{displaymath}
\overrightarrow{F}_{\rho}=\left[\begin{array}{c}
\rho u\\
\...
...rray}{c}
\rho uv\\
\rho v^{2}+p\\
\rho vw\end{array}\right]\,\end{displaymath}


\begin{displaymath}
\overrightarrow{F}_{w}=\left[\begin{array}{c}
\rho uw\\
\rh...
...{c}
\rho uh_{t}\\
\rho vh_{t}\\
\rho wh_{t}\end{array}\right]\end{displaymath}

où on a noté $e_{t}=e+\frac{1}{2}U^{2}$ l'énergie totale par unité de masse, et $h_{t}=e+\frac{p}{\rho}+\frac{1}{2}U^{2}$ l'enthalpie totale par unité de masse.

A ces équations on ajoute l'équation d'état des gaz parfaits:


\begin{displaymath}
e=\frac{1}{\gamma-1}\frac{p}{\rho}\end{displaymath}

5.1.1 Analyse dans le cas 1D

Dans le cas d'un écoulement uni-dimensionnel, elles s'écrivent:

\begin{eqnarray*}
\frac{\partial\rho}{\partial t}+\frac{\partial\rho u}{\partial...
...t}(\rho e_{t})+\frac{\partial(\rho e_{t}+p)u}{\partial x} & = & 0\end{eqnarray*}


soit sous forme matricielle:


\begin{displaymath}
\frac{\partial\overrightarrow{W}}{\partial t}+\frac{\partial\overrightarrow{F}(\overrightarrow{W})}{\partial x}=0\end{displaymath}

En introduisant la matrice jacobienne des flux: i.e. la dérivée du vecteur flux $\overrightarrow{F}(\overrightarrow{W})$ par rapport au vecteur d'état $\overrightarrow{W}=[\rho,\rho u,\rho e_{t}]$


\begin{displaymath}
\mathcal{A}=\frac{\partial F}{\partial W}\end{displaymath}

cette équation s'écrit sous la forme quasi-linéaire suivante:


\begin{displaymath}
\frac{\partial\overrightarrow{W}}{\partial t}+\mathcal{A}\frac{\partial\overrightarrow{W}}{\partial x}=0
\end{displaymath} (5.1)

Un calcul formel fournit l'expression de cette Jacobienne


\begin{displaymath}
\mathcal{A}=\left[\begin{array}{ccc}
0 & 1 & 0\\
\frac{\gam...
...ma}{2}u^{2}+\frac{1}{\gamma-1}c^{2} & u\gamma\end{array}\right]\end{displaymath}

$u$ est la vitesse du fluide (supposée $>0$), et $c=\sqrt{\gamma\frac{p}{\rho}}$ la célérité du son.

Cette matrice possède 3 valeurs propres réelles


\begin{displaymath}
\lambda=[u-c,\, u,\, u+c]\end{displaymath}

ce qui traduit la présence de 3 courbes caractéristiques le long desquelles se propagent les perturbations.

Ces équations forment donc un système hyperbolique non linéaire. En notant $\mathcal{R}$ la matrice des vecteurs propres à droite $\overrightarrow{r_{i}}$:


\begin{displaymath}
\mathcal{A}\overrightarrow{r_{i}}=\lambda_{i}\overrightarrow{r_{i}}\end{displaymath}

la diagonalisation de $\mathcal{A}$ s'écrit:


\begin{displaymath}
\mathcal{A}=\mathcal{R}\Lambda\mathcal{R}^{-1}\end{displaymath}

$\Lambda$ est la matrice diagonale des vecteurs propres $\lambda_{i}$. En multipliant l'équation (5.1) par $\mathcal{R}^{-1}$, on obtient:


\begin{displaymath}
\mathcal{R}^{-1}\frac{\partial\overrightarrow{W}}{\partial t...
...mathcal{R}^{-1}\frac{\partial\overrightarrow{W}}{\partial x}=0
\end{displaymath} (5.2)

On introduit le changement de variable


\begin{displaymath}
\overrightarrow{V}=\mathcal{R}^{-1}\overrightarrow{W}\end{displaymath}

et le vecteur $\overrightarrow{V}$ est appelé “variables caractéristiques”. Le système d'équations transformé est appelé “équations caractéristiques”:


\begin{displaymath}
\mathcal{R}^{-1}\frac{\partial\mathcal{R}\overrightarrow{V}}...
...^{-1}\frac{\partial\mathcal{R}\overrightarrow{V}}{\partial x}=0\end{displaymath}

Dans le cas de petites perturbations, on peut simplifier ce système en considérant que la matrice $\mathcal{R}$ est constante ainsi que les valeurs propres $\Lambda$:


\begin{displaymath}
\frac{\partial\overrightarrow{V}}{\partial t}+\Lambda\frac{\partial\overrightarrow{V}}{\partial x}=0
\end{displaymath} (5.3)

Ce système caractéristique est un système de 3 équations scalaires indépendantes de type advection:


\begin{displaymath}
\frac{\partial V_{i}}{\partial t}+\lambda_{i}\frac{\partial V_{i}}{\partial x}=0\end{displaymath}

Cette équation traduit le fait que la composante $V_{i}$ est constante le long de la droite caractéristique de pente $\frac{dx}{dt}=\lambda_{i}$, i.e.:


\begin{displaymath}
V_{i}(x,t)=V_{i}(x-\lambda_{i}t)\end{displaymath}

La solution générale de (5.3) est donc une combinaison linéaire de ces ondes caractéristiques, soit en revenant aux variables d'état $\overrightarrow{W}$:


\begin{displaymath}
\overrightarrow{W}=\sum_{i=1}^{3}V_{i}(x-\lambda t)\,\overrightarrow{r_{i}}\end{displaymath}

Les perturbations de la solution se propagent donc le long de ces directions caractéristiques.

Dans le cas non-linéaire, la matrice $\mathcal{R}$ n'est plus constante, et l'analyse précédente n'est plus exacte. On peut cependant la considérer comme une approximation au premier ordre et en déduire les propriétés de la solution. Le système hyperbolique (5.1) possède 3 valeurs propres $\lambda_{i}=\lambda_{i}(\overrightarrow{W})$, qui dépendent de la solution $\overrightarrow{W}$. Associées à ces 3 valeurs propres, on a des courbes caractéristiques $\mathcal{C}_{i}=\mathcal{C}_{i}(\overrightarrow{W})$ de pente $\lambda_{i}$ qui sont aussi fonctions de la solution $\overrightarrow{W}$. Le long de ces caractéristiques se propagent les perturbations de la solution sous forme d'ondes non-linéaires.

\includegraphics[width=0.8\textwidth]{CHAP5/perturb}

Considérons une perturbation située en $x=0$ à l'instant $t$. Notons $s$ la vitesse de propagation de la perturbation, $W_{L}$ l'état du fluide à gauche (left) et $W_{R}$ l'état à droite (right). La solution $\overrightarrow{W}$ vérifie les équations d'Euler


\begin{displaymath}
\frac{\partial\overrightarrow{W}}{\partial t}+\frac{\partial\overrightarrow{F}(\overrightarrow{W})}{\partial x}=0\end{displaymath}

En intégrant cette équation sur un domaine $[-x_{0},+x_{0}]$ autour de la perturbation, on obtient l'équation:


\begin{displaymath}
\frac{d}{dt}\int_{-x_{0}}^{+x_{0}}\overrightarrow{W}\, dx=\o...
...errightarrow{W_{L}})-\overrightarrow{F}(\overrightarrow{W_{R}})\end{displaymath}

D'autre part si $x_{0}$ est grand devant $s\, dt$, la variation temporelle de $\overrightarrow{W}$ dans $[-x_{0},+x_{0}]$ s'écrit:


\begin{displaymath}
\int_{-x_{0}}^{+x_{0}}\overrightarrow{W}(t+dt)\, dx-\int_{-x...
...[\overrightarrow{W_{L}}x_{0}+\overrightarrow{W_{R}}x_{0}\right]\end{displaymath}

d'où:


\begin{displaymath}
\frac{d}{dt}\int_{-x_{0}}^{+x_{0}}\overrightarrow{W}\, dx=s\left[\overrightarrow{W_{L}}-\overrightarrow{W_{R}}\right]
\end{displaymath} (5.4)

On retrouve les relations de saut d'Hugoniot:


\begin{displaymath}
\left[\overrightarrow{F}(\overrightarrow{W_{L}})-\overrighta...
...t]=s\left[\overrightarrow{W_{L}}-\overrightarrow{W_{R}}\right]
\end{displaymath} (5.5)

qui relie la vitesse de propagation de la perturbation $s$ à l'état de part et d'autre de la perturbation $\overrightarrow{W_{L}}$ et $\overrightarrow{W_{R}}$. Cette vitesse de propagation $s$ n'est donc pas quelconque. En effectuant une analyse de perturbation au premier ordre, i.e. en développant $\overrightarrow{F}(\overrightarrow{W_{L}})$ au premier ordre au voisinage de $\overrightarrow{W_{R}}$:

\begin{eqnarray*}
\overrightarrow{F}(\overrightarrow{W_{L}}) & = & \overrightarr...
..._{R}})+\mathcal{A}(\overrightarrow{W_{L}}-\overrightarrow{W_{R}})\end{eqnarray*}


ce qui fournit la relation de saut pour une petite perturbation


\begin{displaymath}
\mathcal{A}(\overrightarrow{W_{L}}-\overrightarrow{W_{R}})=s\left[\overrightarrow{W_{L}}-\overrightarrow{W_{R}}\right]\end{displaymath}

Clairement cette relation montre que le saut $\left[\overrightarrow{W_{L}}-\overrightarrow{W_{R}}\right]$ doit être proportionnel à un vecteur propre $\overrightarrow{r_{i}}$ de $\mathcal{A}$, et que la vitesse de propagation $s$ est la valeur propre $\lambda_{i}$ de $\mathcal{A}$ associée. Les valeurs possibles de $s$ sont donc $[u-c,u,u+c]$.

Les relations de saut d'Hugoniot (5.5) s'écrivent:


$\displaystyle \rho_{l}u_{l}-\rho_{r}u_{r}$ $\textstyle =$ $\displaystyle s\,(\rho_{l}-\rho_{r})$  
$\displaystyle \rho_{l}u_{l}^{2}+p_{l}-\rho_{r}u_{r}^{2}-p_{r}$ $\textstyle =$ $\displaystyle s\,(\rho_{l}u_{l}-\rho_{r}u_{r})$ (5.6)
$\displaystyle u_{l}(\rho_{l}et_{l}+p_{l})-u_{r}(\rho_{r}et_{r}+p_{r})$ $\textstyle =$ $\displaystyle s\,(\rho_{l}et_{l}-\rho_{r}et_{r})$  

Ces relations traduisent le bilan de la masse, la quantité de mouvement et de l'énergie dans un repère lié au choc, i.e. se déplaçant à la vitesse $s$ de propagation de la perturbation. Pour $s=0$, on retrouve les équations du choc droit stationnaire, qui correspond à la valeur propre $u-c=0$ (i.e. une vitesse sonique dans le choc).

Il existe 3 types de discontinuité possible dans ce système d'équations d'Euler

  1. discontinuité de contact:
    qui est associée à la valeur propre $s=u$. Dans ce cas le système (5.6) conduit à $u_{l}=u_{r}$et $p_{r}=p_{l}$, i.e. il n'y a pas de discontinuité sur la vitesse et la pression. La seule discontinuité possible est une discontinuité sur la masse volumique $\rho_{l}\neq\rho_{r}$. Dans ce cas le fluide à gauche ne se mélange pas avec le fluide à droite (puisqu'on a pas pris en compte de mécanisme de diffusion), et la séparation entre les deux se propage à la vitesse du fluide.
    \includegraphics[width=1\textwidth]{CHAP5/contact}
  2. choc de compression:
    qui est associé aux valeurs propres $s=u+c$ ou $s=u-c$. Dans ce cas on a une discontinuité de vitesse, de pression et de masse volumique. D'après le second principe de la thermodynamique, seul un choc de compression est possible: i.e la pression du fluide augmente à travers un choc. Le cas d'un choc de détente est théoriquement possible dans le système (5.6), mais il viole le second principe de la thermodynamique (i.e. dans ce cas l'entropie $S$ diminue).
    \includegraphics[width=1\textwidth]{CHAP5/choc}
  3. ondes de détente (ou de raréfaction):
    qui sont associées aux valeurs propres $s=u+c$ ou $s=u-c$. Le choc de détente étant impossible physiquement, la détente (i.e. une diminution de pression) ne s'opère pas à travers une discontinuité (choc), mais à travers une série d'ondes divergentes qui assure la continuité de la vitesse, pression et masse volumique (on une famille de courbes caractéristiques divergentes).
    \includegraphics[width=1\textwidth]{CHAP5/detente}
    Dans ce cas les caractéristiques issues de la discontinuité en $x=0$ sont les courbes $x=st$ ($s$ variant de $s_{l}$ à $s_{r}$). Dans cette zone, on cherche donc une solution de similarité sous la forme $\overrightarrow{W}=\overrightarrow{W}(\xi)$ avec $\xi=\frac{x}{t}$. Cette solution vérifie les équations d'Euler:

    \begin{displaymath}
\frac{\partial\overrightarrow{W}}{\partial t}+\frac{\partial\overrightarrow{F}(\overrightarrow{W})}{\partial x}=0\end{displaymath}

    qui après le changement de variable en $\xi$ s'écrivent:

    \begin{displaymath}
\xi\frac{d\overrightarrow{W}}{d\xi}=\frac{\partial\overright...
...F}}{\partial\overrightarrow{W}}\frac{d\overrightarrow{W}}{d\xi}\end{displaymath}

    ce qui traduit le fait que $\frac{d\overrightarrow{W}}{d\xi}$ est proportionnel à un vecteur propre de la matrice jacobienne des flux $\mathcal{A}$, et que $\xi$ est une valeur propre de $\mathcal{A}$.
Pour les équations d'Euler en 2D où 3D, il existe un autre type de discontinuité lié à une discontinuité de la vitesse dans la direction perpendiculaire à l'écoulement.

  1. ligne de glissement
    c'est la discontinuité de la vitesse, que l'on observe sur les parois où le fluide possède une vitesse de glissement par rapport à la paroi (car on a négligé les effets de viscosité).


Pr. Marc BUFFAT
marc.buffat@univ-lyon1.fr
2007-03-06